Nivelles ou La Pentecôte de Gertrude.
Auteur : WUILLAUME Bernard
LA NARRATION
Au nord de la Marne, dans les bassins de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin, la population a décru. Les guerres continuelles entre ces « frères ennemis » que sont les rois mérovingiens, enlisés dans leurs sordides querelles de succession ou leur insatiable faim d’hégémonie, les famines dues aux accidents de climat mais surtout à la détérioration des circuits de distribution, les épidémies et enfin à cette chute naturelle de la natalité que l’on constate en période d’instabilité ont concouru à cette baisse de la démographie (12).
La main-d’oeuvre est devenue rare (13), les petits exploitants agricoles ainsi que les artisans les plus faibles se sont mis à solliciter la protection ou le parrainage des « puissants », ce qui, par voie de conséquence, permettra à la grande propriété de s’étendre davantage (14). Tous ces déséquilibres et l’absence d’une véritable gestion d’Etat ont donc conduit à l’apparition d’unités économiques autonomes et autarciques qui figeront la vie paysanne dans des structures qui favoriseront et accélèreront le repli sur soi-même. Et l’ensemble du « Royaume Franc » se précipite dans une commune pauvreté. Quelque sombre soit-elle, cette image ne signifie pas que les activités humaines se soient complètement arrêtées. Au temps des semailles, le semeur sème. A la bonne saison, les récoltes seront coupées, rassemblées et engrangées les fruits seront cueillis et le vin pressé les moutons seront tondus, leur laine filée et tissée le forgeron battra le fer et le potier enfournera ses pots. Il y aura des échanges et l’on transportera des choses. C’est dans le volume que se sentent les différences. Même phénomène pour la circulation monétaire. Elle est réduite mais on trouve en Frise des « solidi » (15) frappés à Arles, Marseille et Constantinople. Comme ces monnaies ne se sont pas déplacées toutes seules, elles témoignent qu’autour de 630, le grand sillon des vallées du Rhône et de la Meuse a servi de route majeure au trafic commercial. Dans le même temps, sur le Lek à Doorstede, s’installe le monétaire Rimoaldus qui vient de Maastricht. Cependant, on trouve de moins en moins d’or métallique (16). Le ralentissement du grand commerce avec l’Italie et Byzance et les bouleversements politiques au Moyen-Orient ne sont pas étrangers à cette raréfaction, mais il faut aussi considérer la masse de métal que les Mérovingiens enfouissent dans leurs tombes depuis le Vème siècle. La langue latine s’est abâtardie (17) et toute une culture s’éteint (18). Le français et le flamand naîtront de cet hiatus. Mais surtout la vie est si courte et si cruelle que la crainte de la mort pèse sur chaque existence. Tout ce que l’individu a connu de stable sous la romanité n’existe plus et la société est en pleine mouvance. La fin des temps paraît soudainement très proche et, avec elle, comme une terreur de comparaître devant le Juge Suprême.
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